Une histoire mouvementée
Moullins appartient au Saosnois, avancée septentrionale de l'ancien Maine, inconfortablement établi à la frontière du duché Normandie et du belliqueux comté de Bellême. A l'est de ce dernier, se tient en embuscade le comté de Blois, allié du petit royaume de France, suzerain de tous les protagonistes.
Du 10e au 12e siècle les habitants du Saosnois eurent à pâtir des multiples conflits entre toutes ces principautés nées des décombres de l'empire carolingien : les luttes incessantes entre le comté du Maine et celui de Bellême, centrées sur le Saosnois, mais aussi les démêlées entre les comtes du Maine et les ducs de Normandie.
Approprié vers 886 par Roger, époux de Rothilde, fille de l'empereur carolingien, Charles-le-Chauve, le comté du Maine ne préservera guère son indépendance au-delà de la fin du 11e siècle. Il tombera dans les griffes des comtes d'Anjou, n'ayant pas réussi notamment à sécuriser l'évêché du Mans, tombé aux mains des vicomtes du Mans puis entre celles des comtes de BellêmeFlorian Mazel, « 880/1180, Les Féodalités », Belin, 2010, p60.
La fondation du prieuré
L'histoire connue de Moullins couvre une douzaine de siècles, dont huit (995-1791), passés dans la mense, conventuelle puis abbatiale, de l'abbaye mancelle Saint-Pierre de la Coûture.
Avant 995, à Moullins se situe une grande exploitation agricole, assez peuplée« . in terra savonensi sunt sita videlicet villam sancti Rigomeri de Plano cum colibertis et servis et omnibus rebus ad eam pertinentibus. », Compendium historiae regalis Abbatiae Sancti Petri de Cultura Cænomansis, ms 91, Médiathèque du Mans, p. 8., déjà lieu de pouvoir important. A la suite de la conquête, vers 990, d'une partie du Saosnois sur le comté de Bellême, le comte du Maine, Hugues II, en donna par charteConfirmée par Henri II : Compendium historiae., op. cit., p. 9. la partie la plus avancée -et la plus menacée-, dont les terres de Moullins, à la grande abbaye mérovingienne, détruite par les Normands.
Au-delà de l'aide à la refondation, il n'est pas interdit de penserLEGROS, S., Moines et seigneurs dans le Bas-Maine, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 30 et 73. que cette donation aux moines d'une abbaye de la capitale du comté pouvait également pérenniser la possession de cette nouvelle marche, âprement disputée, en sacralisant ses limites.
Pour l'occuper, le premier abbé, Gauzbert, envoya dès 995 une importante communauté, onze moines et un prieur, s'établir à MoullinsSoit un tiers de la communauté de l'abbaye refondée (BnF ms. 11821, 12689 et 12697), alors que l'effectif de chacun des 80 prieurés mayennais étudiés par Sébastien Legros était de 2 à 6 au maximum : Moines et seigneurs dans le Bas-Maine, op. cit., p. 105. . Les comtes de Bellême reprirent le Saosnois dès l'an 1000, puis vers la fin du 11e siècle fortifièrent la marche du Saosnois en reliant 9 châteaux par les fameux « fossés-Robert » jusqu'à Saint Rémy-du-Plain où ils érigèrent une fortification mentionnée en 1097 par Orderic VitalVraisemblablement en bois. Les restes de la tour maîtresse du château actuel attestent d'une construction des années 1170-1190. . Pourtant, les moines réussirent à se maintenir et à conserver une partie de leur domaine.
La fin du prieuré
Une partie de la communauté monastique repartit en 1182 pour l'abbaye, conséquence soit de la détérioration de la rente seigneuriale propre à la seconde moitié du XIIe siècleA partir du début du 12e siècle, les seigneurs, pour s'éviter les problèmes de transport, de stockage et de commercialisation de la rente en nature, demandent un loyer sous forme de numéraire. La dépréciation de la valeur de la monnaie au grès de crises économiques successives conduit rapidement à un effondrement de la rente. Or, le droit coutumier interdit la réévaluation de la rente., soit des besoins de l'abbaye, à la suite de l'incendie qui la ravagea en 1180. Le reste de la communauté semble avoir quitté les lieux au cours de la seconde moitié du XIII siècle.
La résidence palatiale de 1300
On ne sait ni quand ni comment la chatellenie de Moullins passa de la mense conventuellela mense conventuelle est le revenu tiré des biens et des droits appartenant à la communauté religieuse à la mense abbatiale.La mense abbatiale représente le revenu de tous les biens et droits appartenant à l'abbé.
Au début du XIV siècle les abbés de la Couture construisent une résidence aux champs comprenant les quatre marqueurs des résidence de la haute aristocratie :
* Aula (Grande salle de réception)
* Camera (Logis)
* Capella (Chapelle)
* Turris (la tour servant de repère, au loin, du pouvoir seigneurial )
Stylistiquement les baies de l'aula semblent témoigner d'une construction entre 1310 et 1330. Faudrait-il faire remonter l'édification à la fin du XII siècle pour la faire coincider avec l'octroi en 1287 d'undroit de foire pour sa terre de MoullinsBnF, ms 13817, fol. 19..
Les archives précisent que pour l'année 1399 le revenu du domaine de la « châtellenie » de Moullins, déjà affermée, s'élève à 260 livres, soit le plus important de toutes les possessions de l'abbaye49 prieurés, après la perte de ses 2 prieurés anglais, lors la reprise de la Normandie aux anglais, en 1204, par le roi Philippe Auguste.
L'armée d'invasion d'Henry V, ou les bandes l'accompagnant, mit fin au développement de la résidence abbatiale en février 1418, en pillant puis brûlant l'ensemble des bâtiments, au mépris des engagements du roiLettre de sauvegarde accordée le 2 février 1418 au Prieur de Moullins pour son domaine et ses bâtiments : RYMER Th., Foedera conventiones, t. IV, pars III, p. 19., comme l'attestent les lettres de protestation du prieur de Moullins de fin février 1418Rotuli Normanniae in Turri Londinensi asservati, T. Hardy, Record Commission 1835, p. 353 et Calendini 13F 1028, Revue Mabillon, janvier 1921, p. 11. .
Au cours des trente à quarante années suivantes, les ruines de la résidence et son vaste domaine agricole furent probablement laissés à l'abandon, comme une grande partie du temporel de l'abbaye, elle-même incendiée par les Anglais en 1421.
Nouvelle résidence privée des abbés
Le fort renouveau que connut le monastère sous les abbatiats de Mathieu de la Motte (1486-1492), de Guillaume Herbelin (1492-1496) et de Michel Bureau (1496-1518) se traduisit par la construction, aux environs 1500Dans le terrier disparu de 1522, la première mention du logis abbatial date de l'année 1500, début de la prise d'office de Jehan Dampon, qualifié de « gouverneur de Moullins » : AD du Mans 72 B3213., d'un ensemble seigneurial comprenant logis abbatial, chapelle castrale et colombier à Moullins.
L'abbaye connut son apogée sous Michel Bureau, constructeur présumé de l'ensemble seigneurial. Cette nouvelle fonction résidentielle survécut au passage en commende de l'abbaye, à partir de 1518, et se terminera peu après l'installation temporaire de la communauté monastique de l'abbaye à Moullins, en 1562, du fait de la prise du Mans par les Huguenots.
Ensuite, ni les abbés commendataires, pour la plupart grands prélats parisiens, ni les moines ne revinrent résider à Moullins, à l'exception de l'évêque du Mans et abbé de la Coûture, Charles de Froulay de Tessé, neveu du grand ami de Louis XIV, de 1757 à 1767. Son décès sera l'occasion d'un inventaire minutieux, sur ordre de son successeur.
La décadence de la châtellenie et les conditions de sa préservation
Le domaine de la châtellenie de MoullinsEn 1505 : 4 manoirs, 12 métairies, 3 granges dimeresses, 5 moulins, 5 lieux, 5 fours - dont 4 à banc - et 3 étangs : Médiathèque du Mans, ms 91 et BnF ms latin 17123, fol. 58. En 1695, 1500 journaux, procurant des revenus de 4.000 livres AD72 2MI 174. La qualité de châtellenie est attestée dans de nombreux documents (Rotuli Normanniae in Turri Londinensi asservati, op. cit., p.362). , ses fiefs, cens et rentes furent donnés à bail, dès 1619, à un fermier général qui sous-loua les multiples parcelles. Une montrée de 1702 atteste que les anciens bâtiments seigneuriaux étaient en piteux état.
A la Révolution, l'ensemble du domaine fut morcelé en 7 lots séparés pour être vendu au titre des biens nationaux, dès 1791.
L'un des lots les plus modestes en valeur, celui du « château », ses bâtiments et quelques terres, fût racheté par un prêtre, aristocrate de surcroît, l'abbé de Lorière. Le document de revente à un certain Dagron, daté de l'an 13 de la République (1805), est signé de Monsieur et Madame de Lorière, l'abbé ayant défroqué et épousé les idées de son temps.
Dès le début du 19e siècle, si le colombier, symbole du pouvoir seigneurial, est démoli et ses matériaux remployés dans de multiples appentis, la chapelle va trouver une utilisation agricole sous la forme de l'habituel triptyque : grange, pressoir et cellier, au prix de la démolition de ses voûtes et de son magnifique retable de l'école de Tours. C'est au prix de ces sacrifices que la chapelle est parvenue jusqu'à nous.